Depuis plusieurs années, deux adhérents s’intéressent à cette variété ariégeoise plus ou moins disparue depuis plusieurs années, ils ont tous les deux mené des recherches.
L’association a tenté un premier greffage au printemps 2025, sur des porte-greffes de faible développement, qui produiront des fruits d’ici 2 à 3 ans. Dans un même lieu, il sera plus aisé de déterminer s’il s’agit de la même variété ou d’observer des différentes, d’aspect, de maturité, de goût…. Le greffon « local » n’a pas repris, il faudra retenter au printemps prochain. Les deux autres petits arbres ont bien poussé.
Voici le témoignage des deux chercheurs pomologues :
Enquête en Ariège
Il est bon de commencer par ce qui a été écrit par André Leroy éminent pépiniériste connu pour ses dictionnaires de pomologie.
« Le Museau de Lièvre ordinaire, ou Pigeonnet commun, est connu depuis longtemps dans nos contrées de l’Ouest. Il n’en était pas ainsi du Gros-Museau de Lièvre d’Alos. J’en dois la possession à M. le Comte de Castillon de l’obligeance duquel j’ai déjà maintes fois parlé dans cet ouvrage consacré à la pomologie, science dont l’étude lui est particulièrement agréable. J’extrais de la lettre qui m’annonçait l’envoi de fruits et greffes de ce pommier le passage ci-après, contenant les renseignements voulus en pareil cas :
Château de Castelnau Picampau, le 23 Avril 1870.
….. Les deux grosses pommes rouges (venues sur haute-tige) qui portent le n°4, ont été montrées par moi à des pépiniéristes de Toulouse, mais elles leur étaient inconnues. Evidemment c’est là une variété de l’espèce Museau de Lièvre, et qu’on pourrait appeler Gros-Museau de Lièvre d’Alos, nom du village de l’Ariège où j’en ai fait la découverte dans la propriété de ma mère. Il n’en existe que deux arbres dans la localité. Le vrai mérite de ces fruits, c’est leur supériorité pour la cuisson : ils sont précieux sous ce rapport, surtout si l’on a soin, avant de les présenter au feu, d’en piquer la peau avec une épingle, car toute leur pulpe s’extravase alors en une mousse légère qui compose un mets réellement délicieux ….. »


Habitant St-Girons et à la connaissance de ce texte, je suis allé plusieurs années consécutives à l’Automne, faire le tour des pommiers du village d’Alos, sans succès. Lorsqu’un samedi, l’Automne dernier sur le marché de St-Girons, marché bien représenté par des maraîchers des vallées environnantes, je tombe sur un plateau de grosses pommes Museau de Lièvre. Il faut dire que ces pommes sont peu courantes à la vente. Ma première question à la vendeuse a été de lui demander où était le pommier qui avait fait ces fruits, elle me dit dans un hameau à quelques kilomètres d’Alos. J’ai acheté ses pommes et lui ai demandé si je pouvais récupérer dans quelques mois des greffons, chose faite. Aujourd’hui mon greffage s’annonce prometteur. Je ne suis bien évidement pas sûr que les pommes achetées soient la variété : Gros Museau de Lièvre d’Alos .
Mon histoire ne s’arrête pas là ! Qui était le Comte de Castillon qui avait donné les pommes et les greffons à André Leroy ? Il s’agit du Comte Joseph Hippolyte de Castillon de Saint-Victor biologiste nationalement reconnu, propriétaire du château de Castelnau-Picampeau (31), mais aussi héritier des familles de la noblesse Couseranaise. La famille de Castillon possède encore aujourd’hui une propriété à Alos. Un habitant d’Alos m’a confirmé qu’il y avait bien un verger sur la propriété des de Castillon, reste à voir à l’Automne prochain ce qu’il en reste. La variété de pomme décrite par André Leroy existe-t-elle encore ? nous sommes 155 ans après !
Affaire à suivre. (Gilbert GASTON=
Seconde enquête
C’est une pomme assez spectaculaire par sa taille et son coloris vermillon, sur fond jaune/verdâtre, largement strié de carmin, qui porte un bien joli nom, fleurant bon l’Aquitaine … Gros Museau de lièvre d’Alos coche l’essentiel des caractéristiques de cette « famille », tantôt nommée « pigeon » dans le nord de la France, plutôt « museau » dans le Midi, dont le seul point commun est « la forme singulière ; on l’a comparée à une tête de lièvre et cela est assez exact » (Duhamel – 1850) : allongée (H>L), ventrue à la base (du côté du pédoncule) et rétrécie (mais parfois aussi boursoufflée) du côté de la cavité oculaire, peu profonde, bosselée qui lui donne cet air de «musaou (ou morre) de lèbe » (en occitan). Il en existe des dizaines de variétés ; dans son ouvrage de référence « Les fruits retrouvés – Histoire et diversité des espèces anciennes du Sud-Ouest – 2008», Evelyne Leterme en a recueilli « au fil des ans et des pays, trente-cinq différents petits Poucets égarés, et il en reste sûrement autant dans les campagnes, si ce n’est plus ». Des rouges, des jaunes, des blancs, des verts, des striés … Qui n’en a pas déjà vus ? Voire n’en possède pas déjà un ou deux dans son jardin ?

Alors, pourquoi énigmatique ?
Parce que cette variété semble bien être « adirée » si ce n’est avoir disparu de sa jolie vallée d’origine à Alos, à 680 mètres d’altitude au-dessus de Saint-Girons (Ariège). Les prospections faites ces dernières années par plusieurs pomologues locaux n’en ont pas retrouvé trace. Il faut dire que dès 1870 son « découvreur », le comte Joseph Hyppolyte de Castillon de Sain-Victor, contributeur à la Revue Horticole et correspondant d’André Leroy, dont le « Dictionnaire de pomologie » de 1873 fait encore référence aujourd’hui, signale « j’en ai fait la découverte dans la propriété de ma mère. Il n’en existe que deux arbres dans cette localité » ! Le château d’Alos possédait, effectivement, en terrasse, bien exposée, un joli verger à l’époque …
Mais comment expliquer que l’on en ait retrouvé 2 arbres dans le Pays Gex, petit territoire du département de l’Ain, entre Jura et Alpes, dans un verger conservatoire, le Verger Tiocan, créé il y a bientôt 40 ans pour sauvegarder –là bas comme ailleurs- les vieilles variétés fruitières menacées par l’abandon et, tout particulièrement, par la déferlante de l’urbanisation … (Cf. www.verger-tiocan.mon-paysdegex.fr)
Ces 2 arbres, l’un de bon développement, l’autre moins, ont un port érigé avec de grandes feuilles bien nervurées. Longtemps ils ont porté d’autres noms, comme l’excellente variété « Adam’s Pearman » (photo ci-contre) à laquelle ils ressemblent ; depuis 2015 avec l’appui des « Croqueurs de pommes » l’appellation de Gros Museau de lièvre d’Alos s’est imposée … même si des doutes subsistent, forcément !

Ce verger de plein-vent possède près de 140 variétés de pommes issues de greffons prélevés dans les villages alentours, et greffés sur francs. Plusieurs proviennent d’un beau verger, en plein cœur de Ferney-Voltaire, aux portes de Genève, et, évidemment, aujourd’hui disparu. Le fils de Maurice Décotte, son créateur qui était ingénieur agronome de formation, maire adjoint après-Guerre et esprit original, sait seulement que son père partait, chaque année, avec quelques employés communaux, ramener de Bresse ou d’ailleurs des arbres pour les planter dans sa commune … Il ne semble pas être allé jusqu’en Couserans mais les échanges de plantons, entre amateurs éclairés, existent depuis des siècles comme l’indique déjà en 1805 Emile Calvel, dans son « Traité complet sur les pépinières », le premier à avoir repris le terme de museau: « cette variété, le Mour de Lebré (en languedocien), est au Jardin des Plantes où elle a été envoyée à ma demande, ainsi que bien d’autres fruits, par M. Richard, préfet de la Haute-Garonne. Cette pomme, cuite, est par la finesse de sa chair et la bonté de son eau, préférable à toutes les autres pommes, même à celle de pigeon, dont on fait tant de cas en Normandie, et mérite, à ce titre, d’être très répandue. Le fruit est allongé, et a presque le double de son diamètre. Il est d’un rouge vif foncé, et a souvent des bandes et des taches blanches. Cette pomme se cueille en vendémiaire et se conserve longtems [sic]».
S’agit-il de la même variété ? Elle en est, à coup sûr, une très proche cousine. Pédoncule court, parfois absent, dans une cuvette étroite, assez profonde. Peau lisse et épaisse. La chair, de couleur crème verdâtre s’oxydant vite, est ferme et douce à la fois, mais pas croquante, assez juteuse, plus acidulée que sucrée, modérément parfumée (arômes de fruits frais), avec de grandes loges à pépins. (La description de Leroy diffère un peu sur certains aspects). Assez savoureuse au couteau elle est, effectivement, exquise à la cuisson : « le vrai mérite de ces fruits, c’est leur supériorité pour la cuisson ; ils sont précieux sous ce rapport, surtout si l’on a soin, avant de les présenter au feu, d’en piquer la peau avec une épingle, car toute leur pulpe s’extravase alors en mousse légère qui compose un mets réellement délicieux » (Comte de Castillon).
A deux pas d’Alos, de l’autre côté du col de Catchaudégué, au hameau de la Soumère sur la commune de Sentenac-d’Oust, trône un fort bel arbre qui porte des fruits dont on ne fait, semble-t-il, pas grand cas, « des museaux », comparables et, pourtant, différents !
La génétique n’a pas –encore- apporté de réponses claires. Elle se rapproche d’un «Cul pointu de Montbozon » trouvé en Haute-Saône ou d’un « Museau de chien » dans le Jura. Sa forme fait aussi penser aux variétés « Carcavale » (aussi appelée Bouchon Baril !) en Haute-Savoie ou encore « De Bonde » que l’on trouve un peu partout, en Savoie, en Touraine et … en Dordogne (Bonde de barrique !) avec bien des variantes !
Des greffons ont été rapportés du Verger Tiocan, ces dernières années, et remis à des « croqueurs » et aux associations locales de pomologie, notamment les Vergers Retrouvés du Comminges et RENOVA. Reste à attendre un peu pour pouvoir, sans doute, restaurer un élément de notre patrimoine local… ?
Mais aussi à prospecter encore dans les villages et terroirs proches d’Alos pour (tenter de) retrouver cette variété « énigmatique » !
Avis aux amateurs ! (Pierre-Maurice LAURENT)